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Rencontre avec Florent Caron Darras

Compositeur en résidence à la Cité musicale-Metz

Vidéo Interview
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À l'occasion de la première mondiale de sa nouvelle création Unité Lieu, nous avons échangé avec Florent Caron Darras à propos de cette pièce qui sera jouée dans le cadre du programme La Symphonie nº 9 de Beethoven par l'Orchestre national de Metz Grand Est et David Reiland

"Unité Lieu" est votre deuxième création pour l’Orchestre national de Metz Grand Est et la troisième œuvre que l’Orchestre interprète. Comment votre travail a évolué au cours de la résidence à la Cité musicale-Metz ? ?

Unité Lieu est une pièce assez différente de ma précédente pièce pour orchestre, Drone Jonction, qui avait été commandée puis créée l’an dernier par l’Orchestre National de Metz Grand-Est. Elle se rapproche beaucoup plus de mes récentes pièces pour ensemble, comme Territoires et Transfert, qui ont également toutes deux été données pendant ma résidence à la Cité musicale. Unité Lieu partage avec ces pièces le principe d’une distribution des instruments en de multiples rôles, lesquels persistent et évoluent lentement durant toute la pièce. Chaque groupe d’instruments répète et varie un motif qui lui est propre, à un rythme qui lui est propre, pour qu’ensemble ils forment un jardin imaginaire. Ce faisant, il y a une ambiguïté entre stabilité et mobilité, puisque tous les éléments constituant ce jardin sont rapidement repérés comme étant répétitifs, mais que, du fait de leurs différences de temporalité itérative, aucun d’entre eux n’est donné deux fois dans la même configuration orchestrale. À partir de matériaux connus, des relations sont sans cesse activées dans l’écoute, et cela forme un contrepoint non discursif, ne semblant aller dans aucune direction particulière. Dans Territoires et Transfert, j’amplifiais certains éléments à mesure que d’autres s’éloignaient, un peu comme l’on ferait une mise au point photographique sur un objet, en floutant le reste. C’est aussi un procédé que nous retrouvons dans Unité Lieu.

Quelles ont été les différences ou les spécificités de ce travail ?

La spécificité de ce travail est justement dans ce que je fais de ces moments de « mise au point », de travail de la focale. Alors que dans Territoires et Transfert, tous les éléments demeurent toujours en arrière-plan, je décide ici d’effacer intégralement le jardin lorsqu’un élément prend le rôle de premier plan. Je fais pour ainsi dire une extraction, en amplifiant un élément jusqu’à l’isoler, ce qui me permet de le développer en autonomie de l’environnement qui l’a fait éclore, tel un biologiste qui passerait du jardin au laboratoire. Une fois sous le microscope, l’élément se déploie tout autrement, révèle un monde. D’un lieu qui se présente comme unité, j’extrais une unité qui fait lieu. Ce procédé a plusieurs conséquences. D’abord sur la forme, puisqu’elle repose sur l’alternance entre deux choses : la cohabitation des éléments et l’extraction de l’un d’entre eux. En répétant cette alternance, apparaît une forme classique à « refrains » et « couplets » (je mets des guillemets car il n’y a là rien de commun avec la chanson ni avec quelconque mélodie accompagnée), communément appelée Rondo. Il y a d’autre part une conséquence sur l’écoute. La cohabitation des éléments, dans ce jardin imaginaire qui correspond au « refrain », permet à chaque auditeur de se frayer un chemin propre, selon la sélection, consciente ou non, qu’opère son oreille. Les auditeurs peuvent avoir une sensation globale, ou bien porter leur attention sur tel élément plutôt que sur tel autre, et suivre ainsi son évolution. Or lorsqu’un élément s’amplifie pour devenir un « couplet », il devient un matériau soliste, sans aucun arrière-plan, ce qui ne laisse plus aucun choix aux auditeurs. Tout l’auditoire écoute la même chose. Il se produit alors un rassemblement de l’écoute, les oreilles dispersées dans le refrain se rejoignant sur un seul et même objet, avant de se disperser à nouveau dans l’écoute sinueuse.

Quel était le processus de votre travail sur "Unité Lieu" ?

Chaque pièce doit procéder d’une méthode propre. Les premières semaines consistent toujours à enquêter sur cette méthode. Il s’agit pour cela de faire parler les matériaux en les développant, en les analysant, en les mettant en relation. Ces relations se présentent à la fois comme des solutions et des problèmes : il faut être à la hauteur de leurs promesses. Il ne faut pas être en-dessous d’elles, ni passer à côté. Il y a donc une forme de justesse à trouver dans cette musique qui n’existe pas encore, une justesse alors que les possibilités sont innombrables : il y a plusieurs justesses potentielles au début d’un projet. Trouver la bonne méthode, c’est adopter une stratégie de travail qui permette à ces innombrables possibilités de s’éliminer d’elles-mêmes ou de se présenter au bon moment, comme des évidences.

« Je crois que composer c’est s’engager dans un véritable dialogue entre matière et idée, en balayant à la fois l’expression directe et le vertige du doute. »

Pour cette pièce, la première idée claire n’était pas une situation sonore mais une idée formelle : la forme Rondo. L’idée de navigation entre les modes d’écoute, entre écoute libre et écoute dirigée, était l’idée première et donc ma ligne directrice lors de la composition. Je devais donc laisser fleurir mentalement ce jardin imaginaire du « refrain », puisque tout allait en découler. Mais, alors que j’essayais d’entendre intérieurement ce jardin de la diversité, ce sont des objets sonores plus radicaux qui se sont manifestés. J’entendais par exemple un motif très affirmé à un ou deux instruments. Puis un autre, très différent, etc. Il était évident que ces objets allaient former des « couplets ». J’ai donc répertorié ces objets musicaux, en ai sélectionné quelques-uns (il y a un deuil permanent dans l’écriture), leur ai donné un ordre selon des critères de tension, jusqu’à établir toute la série de couplets. Le « refrain » pouvait désormais se constituer de tous ces éléments de « couplets », ainsi que d’autres éléments, et l’écriture allait enfin pouvoir commencer. J’avais en réalité déjà écrit une ouverture très portée sur la transe, qui est longtemps resté une énigme jusqu’à ce que je comprenne qu’il s’agissait du premier des « couplets ». La pièce a également nécessité le support de l’informatique, d’une part avec des outils personnels de formalisation (calculs, manipulation d’harmonies, manipulation de rythmes, etc.), d’autre part avec la conception d’une maquette graphique, permettant d’agencer et de visualiser très précisément la durée des matériaux et des sections dans le temps.

Est-ce qu’un instrument sera mis à l’honneur ?

Unité Lieu n’est pas une œuvre concertante (le concerto ne me semble pas être un genre très actuel, à bien des égards). Pour autant, il ne s’agit pas d’une écriture de masse orchestrale, et le simple fait que de petits groupes d’instruments, souvent rassemblés dans une même famille de timbre, constituent des éléments autonomes et aisément repérables, fait que chaque instrument est garanti de recevoir une écoute attentive à un moment de la pièce. Certains instruments sont certes élus pour se développer lors des « couplets », qui mettent un peu plus à l’honneur les percussions et les cuivres.

Est-ce qu’on retrouvera un dispositif spécifique comme pour vos autres créations ?

L’idée de lieu est ici plus symbolique qu’acoustique. Le « refrain » est compris comme un lieu grâce à l’agencement temporel et orchestral d’éléments qui demeurent, mais je n’utilise ni l’électronique, ni la spatialisation des instrumentistes.

« J’avais envie de me confronter à l’écriture d’une pièce d’orchestre sans dispositif ni disposition. »

Est-ce que votre expérience avec l’Orchestre a influencé la façon dont vous avez composé cette nouvelle pièce ?

Incontestablement. Nous avons travaillé ensemble sur Drone Jonction l’an dernier, mais nous avons surtout organisé un atelier en janvier pour travailler sur les premières pages et esquisses d’Unité Lieu. C’était un moment crucial, dans lequel la résidence prenait tout son sens. Nous avons véritablement cherché ensemble, des sonorités, des techniques, et étudié leur faisabilité, mais aussi leur notation. Et puis je commençais à connaître les musiciens de l’orchestre, je savais pour qui j’écrivais, ce qui est très rare avec de si grandes formations. Sans compter que je suis infiniment heureux de travailler à nouveau avec David Reiland, avec qui l’entente musicale et humaine est totale. Connaître les visages et personnalités qui font l’orchestre m’a offert de mettre un peu plus de cœur dans l’écriture. Dans la musique, il y a certes les relations formelles entre les matériaux, mais ce qui compte au fond, ce sont les relations humaines qui ont permis cette pièce, et que cette pièce va permettre : que pour une vingtaine de minutes nous formions avec le public une unité dans le lieu.

Apprenez en plus sur Unité lieu, la nouvelle création mondiale de Florent Caron Darras, commande de la Cité musicale-Metz, dans cette interview vidéo

Florent Caron Darras était à Metz pour la première session de répétition de sa nouvelle création mondiale « Unité Lieu ». À cette occasion, nous avons passé une journée avec lui pour recueillir son témoignage à chaud !